Le maître de feng shui et les piles de papier
Julie m'a bien offert Le feng shui pour les nuls, mais je dois bien avouer que le feng shui pour les nuls, j'y avais déjà été initiée. Pas vraiment par un grand maître, mais par un roman policier. Cet extrait du livre de Nury Vittachi, Le maître de fengshui perd le nord, Paris, éd. Philippe Picquier, 2004. Allez savoir pourquoi je me suis sentie concernée...
« Mirpuri sortit un magazine. « Attendez que je vous montre
quelque chose. J'ai eu ça par un ami. C’est un catalogue d'objets fengshui
fabriqués à Hong Kong. Par correspondance. Je me disais que je pourrais
mettre un chat à l'entrée et accrocher un sabre de fortune de ce côté, dirigé
vers la pièce où on traite les commandes, et puis une paire de dieux-gardiens
pour l'entrée, plus ce truc qu'on appelle un vase des sept fortunes...
— Pas besoin, coupa le géomancien. Pas besoin de gadgets. » (…)
Wong secoua la tête. « Le fengshui de Hong Kong est trop fondé sur les
superstitions. Complètement idiot. Le premier travail du fengshui dans une
pièce comme ça c'est de ne rien ajouter, il y a déjà beaucoup trop de choses. Il
faut enlever des choses, au contraire. Pas en ajouter.
— Ah, d'accord. Qu'est-ce qu'il faut enlever, alors ?
— Je vais vous le dire. Beaucoup de choses. Asseyez-vous. » (…)
Le maître de fengshui balaya la pièce du regard. Puis il se retourna
vers son client. « Le principal problème de cette pièce, c'est l'énergie
morte. Il y a trop d'énergie morte. Ça tue votre énergie à vous. » Wong désigna
du doigt les piles de papiers poussiéreux sur les armoires. « Ces feuilles de
papier, je pense qu'elles sont vieilles, que vous ne vous en servez
plus. Il faut vous en débarrasser. C'est un problème classique dans les vieux
bureaux, et même dans les bureaux récents. L'énergie morte produit... il
consulta son carnet pour retrouver le mot anglais qu'il avait noté... la léthargie.
» (…)
« II y a des gens qui sont du genre à classer. Ils classent, classent
et classent, ils rangent tout dans des armoires. D'autres personnes sont du
genre à empiler. Elles posent des papiers les uns sur les autres et elles font
des piles, des piles et des piles.
— Et qu'est-ce qu'il vaut mieux ?
— Il vaut mieux classer qu'empiler. Mais le mieux, c'est de tout jeter.
»
Wong ramassa une feuille de papier au sommet d'une pile. C'était une lettre. « Vous voyez ça ? Chaque
feuille contient ce qu'on appelle "une transaction d'énergie
potentielle". Quelqu'un vous écrit une lettre. Ou vous écrivez une lettre
à quelqu'un. Ou quelqu'un veut vous faire acheter quelque chose. Ou veut que
vous lui téléphoniez. Ou que vous lui envoyiez un fax. Bref, quelqu'un veut
vous dire quelque chose. Les gens mettent de l'énergie dans le papier.
Ils mettent des efforts dans le papier. Si vous lisez la lettre, et que vous en
faites quelque chose, l'énergie de votre correspondant se transmet à vous. Elle
se transforme en action. Mais si vous ne faites rien, si vous vous contentez de
poser la feuille sur une pile, l'énergie meurt. Ensuite vous recevez une autre
lettre. Vous la rajoutez à la pile. Et encore une autre, et encore une autre.
Tous ces papiers, vous les empilez les uns sur les autres. Bientôt la pile a
des centaines de feuilles. Vous la mettez dans un tiroir. Le tiroir est plein.
Vous commencez une nouvelle pile sur votre bureau. Bientôt la nouvelle pile a
des centaines de feuilles aussi. Mais chaque feuille est un peu d'énergie
morte.
Les piles d'énergie morte, c'est très mauvais. Vous entrez dans ce
bureau et vous voyez d'énormes piles de vieux papiers. Ça vous aspire toute
votre énergie. Vous vous sentez fatigué, votre énergie meurt à son tour. Vous
êtes en... léthargie.
— Donc il faudrait que je range tout ça dans des armoires à classement,
c'est ça ?
— Non. Parce que dans ce cas les armoires se remplissent d'énergie morte. Il faut jeter ces vieux papiers. Ne gardez que les plus importants. Le reste, poubelle. Sinon il y a trop de... léthargie dans le bureau. »
Nury Vittachi, Le maître de fengshui perd le nord, Paris, éd. Philippe Picquier, 2004, p.111-114
Et alors, c'est marrant, mais moi, j'avais pas retenu le coup de l' "énergie morte" contenue dans les piles de papier. Ce que j'avais retenu, c'était l'énergie mise par les correspondants, par les auteurs d'articles, ou l'énergie mise par moi-même dans des notes à reprendre. J'avais retenu l'épuisement aussi. Et pour moi, l'épuisement c'est plutôt la somme de sollicitations contenues dans ces "centaines" de papiers. On entre dans la pièce, et on est sollicité par ces "énormes piles de papiers", et on est épuisé.
Un bureau dégagé, c'est tellement plus tranquille, plus apaisé.
Mais je me répète, quand mon bureau est vide, c'est trop de solitude.