Ecrire, c'est sauter en dehors de la rangée des assassins
Le passage promis :
"[Kafka] parle de l'acte d'écrire, il dit qu'écrire, c'est sauter hors de la rangée des assassins. Pour moi, jouer, c'est ça. (...)
Les assassins, contrairement à ce qu'on pourrait croire, sont ceux qui restent dans le rang, qui suivent le cours habituel du monde, qui répètent et recommencent la mauvaise vie telle qu'elle est.
Ils assassinent quoi ? Le possible, tout ce qui pourrait commencer, rompre, changer.
Kafka dit qu'écrire, l'acte d'écrire, c'est mettre une distance avec ce monde habituel, la distance d'un saut.
Il dit, sauter en dehors, sauter ailleurs. ça suppose un point d'appui ailleurs.
Jouer, dit Louise, c'est inventer quelque chose, un point d'appui, qui soit ailleurs, qui permette de saisir d'où on vient, d'où vient ce monde, le vieux monde des assassins.
Si on ne fait que redire, recommencer, répéter... on n'en sort pas, quel intérêt.
Sauter, je trouve ce mot tellement juste, sauter, on le voit, c'est un acte, un acte de la pensée, une rupture. ça n'est pas une simple accumulation, un processus linéaire, on continue, on continue et voilà ça se fait tout seul. Non. Il faut se décoller.
Moi, je voudrais jouer comme ça."
Leslie Kaplan, Le Psychanalyste, Paris, Gallimard/Folio, p.600-601