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DelphSei - les riches heures
4 août 2008

Toutes les mères sont étrangères

Dans un livre de Nancy Huston, Corps et âme, dont plusieurs articles m'ont plutôt agacée, un passage très juste dans le texte intitulé "La pas trop proche". Celui-ci commence par cette très belle phrase :

"Toutes les mères sont étrangères."

et se conclut par ce passage :

"J'ouvre les yeux, regarde autour de moi et constate, étonnée, que toutes les mères sont étrangères. Je vois la distance qui se glisse, vite, entre elles et leurs enfants, oui, l'étrangeté qui s'instaure dès les débuts, la non-complicité, la non-coïncidence ; dans l'échange entre eux, je vois non seulement fusion tendresse caresse et lien, mais tout ce qui frotte et qui gratte, corrode et corrompt, je vois les sourires mais aussi les regards blessés et les mines déconfites, déçues, j'entends les roucoulements mais aussi les voix qui grincent d'impatience, celles qui se brisent d'énervement, celles qui se liquéfient en larmes, et je me dis qu'au fond la mère c'est cela partout, depuis toujours, la mère c'est cela exactement : notre première étrangère, la première rencontre avec la réalité de l'autre, incontournable : son altérité justement, sa pas-trop-de-proximité, sa différence d'avec soi..."
Nancy Huston, Corps et âmes, Léméac-Actes Sud, Ottawa, 2004, p.40


Et il faut savoir voir cette discordance, que les mères ne sont pas, ne peuvent  pas être qu'amour, accueil et patience, et prolongeant cette réflexion, je m'étonne que Nancy  Huston conclue depuis le point de vue de l'enfant, et, de mère qu'elle est devenue - par quoi l'histoire de ses mères parties, présentes, choisies, s'achevait dans l'article - elle ne décrive pas plus la perception des mères, des parents en fait, devant cet être étrange qu'ils sont censés avoir créé, qui est censé être issu d'eux, qu'ils sont censés avoir formé. Celui-ci irréductiblement échappe ; ses désirs, ses besoins, ses demandes, excèdent souvent la capacité des parents de comprendre, d'y répondre, de les accueillir. Les parents restent étonnés devant le visage de leur bébé, désemparés devant des larmes ou des cris qui durent trop longtemps,  le mystère de la source  d'une douleur si grande,  perplexes devant un caractère loin du leur, excédés ou épuisés face à des exigences qui ne cèdent pas, des listes de questions infinies, des goûts qu'ils ne partagent pas.
Dans les moments heureux, ils s'émerveillent peut-être d'un être si différent dont ils sont censés être les parents.

Les enfants ne sont pas des petits soi-même, ils ont leur rythme, leur physiologie, leur manière de réagir aux événements du monde qui n'est ni celle de leurs parents et encore moins celle qu'ils voudraient qu'elle soit. L'âge de la scolarisation, - mais en fait, dès que l'enfant est gardé par d'autres personnes, fréquente d'autres enfants -, constitue une étape supplémentaire, avec le constat surpris et plein de sentiments mêlés, entre jalousie et fierté, devant ce que l'enfant amène de l'extérieur : les mots nouveaux, et avant le langage : les expressions, gestes, mimiques, et après le langage : les goûts, les affirmations péremptoires, les histoires, les savoirs étranges et particuliers. Dès petits, les enfants ne sont pas que de l'univers de leurs parents, déjà mixte, car si les parents élèvent à deux l'enfant, ils font déjà l'épreuve de ce qui va de soi selon chacun et ne le va pas selon l'autre.
Les enfants reçoivent savoirs, descriptions du monde, et par suite normes, valeurs, de tant d'autres que leurs parents. Non seulement les enfants ne sont pas des petits soi, mais ils ne sont pas faits que de ce que leurs parents leur donnent ! Ils ne sont pas façonnés que de ce que font leurs parents. Et ils ne manquent pas de leur faire savoir.
Ensuite, oui, plus tard, devenus adultes, et peut-être les parents ne s'en apercevront même pas, tant d'enfants reprendront de leurs parents normes de vie, manières de faire, goûts et valeurs, jusque dans l'éducation de leurs enfants. Pas sûr que ce constat soit toujours rassurant. On ne vient pas de nulle part. Qu'en fait-on ?

Mais pour l'instant, restons à cet étonnement, porteur aussi de tant de promesses : tous les enfants sont étrangers...

(to be continued...)

Edit : Quelques pères ici : http://delphsei.canalblog.com/archives/2007/12/28/7375408.html

et là : http://delphsei.canalblog.com/archives/2006/12/14/3428654.html

Je dois bien avoir d'autres dessins quelque part, je pourrais peut-être même en faire. Dessiner, dit-elle.

Allez, je remets même cette image, pour la place toujours donnée aux mères...

father_son_001

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  • Des corps dansants, heureux ou fatigués, des gribouillis dans les marges des cahiers, sur des bouts de journaux, des photos, dessins au bic, crayon, encre ou brou de noix... Un peu de texte aussi : je vous le mets quand même ?
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