Pour quelques secondes de plus
Ces derniers jours est apparue sur les vitres des rames du métro parisien une nouvelle campagne destinée manifestement à améliorer la régulation du trafic... des voyageurs.
Ceux-ci sont invités : à "s'éloigner de la porte au signal sonore", à "laisser descendre les voyageurs" (tant mieux), à "préparer leur sortie", et il leur est asséné qu' "une seconde de perdue dans une station, c'est du retard sur toute la ligne".
Voyons... La ligne 4 fait 26 stations environ. Quand on fait une vingtaine de stations, c'est déjà un assez gros trajet, on met environ 1/2 heure. Disons qu'on "perde" une seconde par station, allez, soyons fous, 3 secondes ! On aura "perdu" 1 minute. Oh là là.
Alors, ce retard, quel retard ? Ce drôle de phénomène qui fait qu'un retard aura tendance à s'accumuler ? Entre la rame qui précède et la rame "en retard", les voyageurs auront tendance à s'accumuler sur le quai et à retarder davantage celle qui peine déjà ? Bon, interprétation généreuse. En gros, si les rames sont suffisamment nombreuses et se succèdent à un rythme rapide, aucun "retard" ne sera trop grave. Effet vertueux, même : dans la confiance qu'une prochaine rame arrivera, les "voyageurs" auront moins tendance à essayer de se jeter entre les portes qui se referment ou à les maintenir ouvertes pour un camarade qui arrive.
Alors, retard par rapport à quoi ? Par rapport aux horaires des conducteurs ? Il faut les assouplir, mon cher Eugène, il faut les assouplir.
Car enfin, si je devais choisir à quoi les attribuer, ces quelques secondes de "retard", entre l'efficacité d'un trajet (quelques minutes au plus ?) et la douceur des moeurs, je choisis sans conteste la douceur des moeurs.
Quand je lis cette phrase "Une seconde perdue en station, c'est du retard sur toute la ligne", - outre l'imputation à la conduite des usagers de l'attente dans le métro plutôt qu'au nombre de rames - j'entends déjà la voix qui sonne derrière moi dans un métro blindé de monde :"pardon" ou "vous descendez à la prochaine ?", plus ou moins agréable, tendue, impérative, alors même que le métro entre dans la station ("préparez votre descente").
On a envie de rappeler que sans vide, le mouvement n'est pas possible. Qu'il faudra bien attendre l'ouverture des portes.
A ceux qui se fraient un chemin en jouant des coudes, j'aurais voulu les rassurer : le métro ne partira pas sans eux - ou avec, selon qu'ils cherchent à monter ou à descendre. Mais si l'on en est à une seconde près... Comment parer à l'angoisse d'abandon de ceux qui n'osent descendre pour laisser passer ceux qui sont derrière eux ou qui s'engouffrent quand d'autres sont encore à essayer de s'extirper ? La crainte de voir le métro partir sans eux, terrible... Un gouffre ! Le gouffre du tunnel où disparaissent les camarades de voyage...
Prenons-les ces secondes, prenons le temps de ne pas nous marcher dessus !
Espoir d'un monde meilleur.